Deconstruction d'un Koan |
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version en anglais | ||||||
Présentation,
explication Qu’est-ce
que Le Recueil de la Falaise verte?
Il s’agit de la traduction française du plus célèbre
classique bouddhiste Ch’an (jap.: Zen) chinois: Pi Yen Lu. Ces cas enregistrent la question d’un disciple et la réponse de son Maître. La réponse est un Koan (chinois: Kung-an). En anglais, le titre de cette célèbre collection parle de Falaise bleue. La différence entre les deux traductions (elle sont toutes les deux «correctes») est due à l’ambiguïté du caractère chinois (Pi)
qui, selon le Dictionnaire Français de la Langue Chinoise de Ricci, qui
fait autorité, est: 1. Une pierre vert-bleu ressemblant au jade; néphrite;
jaspe. 2. Bleu-vert; vert jade; bleu de jade; azur. Qu’est-ce
qu’un Koan?
Koan (définition classique): à l’origine, il s’agissait
d’un document se rapportant à un acte officiel, p.ex. l’ordre du
jour d’une réunion. Les Maîtres Zen ont adopté ce mot pour indiquer
un point de réflexion.
Koan (ma propre définition): réponse énigmatique d’un Maître
à son disciple. Son but est de mettre fin à la confiance du disciple
dans le raisonnement comme moyen d’atteindre l’illumination, en empêchant
tout développement du dialogue. De quelque manière qu’on les aborde,
de telles questions ne présentent aucune ouverture au raisonnement.
Un Koan peut être aussi une question posée au disciple par le
Maître, comme: «Quel est le son d’une main?» (J’ai parfois utilisé
ceci: «Qui est celui qui demande: “Qui est celui qui demande?”?»)
Ces questions n’ont pas de réponse, sans parler d’une réponse «exacte»;
elle visent également à dresser une barrière devant tout
raisonnement. En cas de succès, elles forcent le disciple à se tourner
vers l’expérience directe avec la réalité; son Maître peut le
conduire vers cette évolution en le frappant ou en lui criant après.
Le disciple est instamment invité à trouver une «solution», parfois
pendant des années!
Un autre exemple célèbre est celui-ci (en réponse à la
demande: «Pourquoi Bodhidharma est-il venu de l’Occident?»): «Le chêne
dans le jardin!». Ces stratégies n’admettent aucune réponse, au
sens habituel. Chaque fois que le disciple propose une «réponse»
raisonnée, il est houspillé par des coups ou des cris. Il peut
raisonner à propos d’un Koan autant qu’il voudra, il sera toujours
confondu. Ce n’est que lorsque sa réaction sera immédiate et en
rapport avec la situation réelle, qu’elle sera admise. Ainsi, en
contrariant et en épuisant son raisonnement, le disciple est poussé
vers une expérience d’illumination. L’illustration
est la première des Dix Tableaux sur la Recherche du Bœuf. La cascade
suggère une falaise et une dense végétation bleu-vert. Vingt-sixième
cas Pai
Chang assis en solitaire sur la montagne Ta Hsiung Un
moine demanda à Pai Chang1: «Qu’est ce que l’affaire
extraordinaire?2» Notes
1. Pai Chang est Huai Hai (s’écrit aussi Hwei-hai) (jap.:
Hyakujyo Nehan) (720-814). Fondateur du premier monastère Zen et de ses
règles. Il est à l’origine de la règle: «Pas de travail, pas de
nourriture». Tous les monastères Zen d’aujourd’hui suivent ses règles.
2. L’affaire extraordinaire est la «grande étude» (
). De nos jours, cela désigne une université, mais dans la
Chine traditionnelle cela signifiait la «Voie» ou «Tao» dans le Taoïsme,
ou la voie vers l’illumination dans le Bouddhisme. On l’utilise ici
dans ce dernier sens. Le moine demande à être acheminé vers le «Tao»
du Bouddhisme.
3. Cette montagne [pin-yin: Da xiang (
?)] est en réalité le Bai-zhang feng, où Pai Chang vécut, près
de Lin-an dans la province de Zhejiang, dans l’est de la Chine, au sud
de Shanghai.
4. Le moine n’était pas un novice; il était suffisamment
avancé pour accepter la réponse en tant que telle, même s’il
manquait d’une compréhension en profondeur.
5. Cependant, il était devant un grand Maître, qui ne lui
aurait pas permis de s’en tirer à si peu de frais! Résumé
des commentaires anciens
Pai Chang avait un réputation terrifiante; il était un «tigre»,
mais le moine était suffisamment courageux pour l’empoigner par ses
«moustaches de tigre».
La réponse de Pai Chang relevait le défi, mais la révérence
du moine montrait qu’il n’était pas découragé et qu’il
s’accrochait (aux «moustaches de tigre» de Pai Chang’s). Il n’y
avait plus qu’un seul moyen de le faire lâcher prise et le Maître
l’a utilisé.
Ils «lâchèrent prise» simultanément, libres de toute
entrave. La révérence du moine était-elle bonne? Alors, pourquoi
a-t-il été frappé? S’elle était mauvaise, pourquoi l’était-elle?
Pour répondre, on doit reconnaître qui est un initié.
Pai Chang a montré son grand talent; quelqu’un de moins
talentueux n’aurait pas été à même de s’y prendre avec le moine.
Un autre Maître, Nan Ch’uan, raconta un rêve dans lequel il
avait donné vingt coups à deux bodhisatvas. Chao Chou* (778-897),
alors disciple, lui demanda qui aurait dû être puni pour ce sacrilège
à la place du Maître. Celui-ci répondit: «Où était mon erreur?»,
à quoi Chao Chou
s’inclina.
Les grands Maîtres n’imitent pas les autres, ils prennent les
choses en main.
C’est comme un combat rapproché: tout est secondaire par
rapport au contact corporel. La situation suggère le geste qui exprime
une maîtrise de celle-ci.
Un poème chante la singularité de Pai Chang: comment il change
selon les circonstances; lorsqu’on lui tire ses «moustaches de tigre»,
il n’attaque pas ni se défend. Voyez à quel point est-il libre.
Tous les maîtres agissent selon la même compréhension, mais
leurs actions sont toutes différentes, car elles correspondent aux
circonstances en perpétuel changement.
* Un des plus grands Maîtres Zen. Il atteignit l’illumination
lorsque Nan Ch’uan lui dit que «la Voie n’est pas une question de
connaître ou de ne pas connaître...» Il voyagea beaucoup, pendant ses
120 ans de vie, et visita plus de 80 successeurs de Ma Tsu. Plus tard,
Chao Chou succéda à Nan Ch’uan comme Abbé de mon monastère. Ses
adages sont recueillis dans le Ku Tsiun Yu Lu. Les
commentaires contemporains
«Qu’est-ce que l’affaire extraordinaire?» Ce moine
ressemble à un bébé poisson demandant à sa mère: «J’entends tout
le monde parler de l’océan, mais qu’est-ce que c’est l’océan?»
Pai Chang a agi en vrai papa gâteau en ne fichant pas immédiatement
des coups au moine.
Evidemment l’affaire extraordinaire est le «Tao» (
), la Voie vers l’Illumination. Dire cela est une lapalissade;
la vraie question est comment y parvenir et comment la suivre! Ainsi, la
réponse de Pai Chang est «... une invitation directe à considérer la
réalité, au-delà des écritures...», la définition même du Zen!
Le moine avait compris et il avait raison de faire la révérence;
mais Pai Chang avait aussi raison de le frapper! Pourquoi? Parce que,
tout en ayant compris la réponse, il n’avait pas encore compris «l’affaire
extraordinaire».
Ming Qi Genève,
Suisse 25 · 4 · 2544 Le
dernier des Dix Tableaux sur la Recherche du Bœuf, qui indique la fin
de la quête. L’auteure exprime sa reconnaissance, pour l’aide reçue, à plusieurs professeurs des Départements Chinois et Japonais de l’Université de Genève. |